Article Journal Libération – 29 juin 2019 – Depuis le début de l’année, les mouvements écologistes ont de plus en plus recours à des actions non-violentes, souvent menées par des militants très jeunes. Vendredi, deux de ces mouvements ont organisé une double occupation à Paris
Des jeunes militants pour le climat, assis en rangs serrés à chaque extrémité d’un pont, drapeaux à la main et slogans plein la bouche. Des jeunes militants aspergés de gaz lacrymogène, portés ou traînés par les CRS qui tentent de rouvrir le pont à la circulation, mais qui, inlassablement, forment une nouvelle ligne de barrage quelques mètres plus loin. La scène avait lieu ce vendredi midi, sur le pont Sully à Paris à l’appel de l’organisation écologiste Extinction Rébellion. Pourtant elle aurait pu avoir lieu n’importe où en Europe, tant les militants environnementaux multiplient le recours à la désobéissance civile pour crier l’urgence climatique. Ce vendredi, les branches française et allemande de Youth for Climate, une autre jeune association, ont aussi organisé le blocage plusieurs heures durant d’une rue menant à l’Elysée et une chaîne humaine autour du Bundestag à Berlin. A Bruxelles, c’est un die-in qui a eu lieu dans le hall d’embarquement de l’aéroport.
«On sait qu’on est dans l’illégalité, mais on est prêts à se faire arrêter. La désobéissance civile de masse, c’est ce qui marche le mieux pour faire avancer une cause. L’Histoire l’a montré», affirme Matteo, les yeux encore rouges après sa participation au blocage du pont de Sully. A 19 ans, il est membre d’Extinction Rébellion depuis quelques mois.
Etat d’urgence climatique
Ce mouvement écolo radical et international, né au Royaume-Uni fin 2018, a fait de la résistance non-violente son mode d’action privilégié pour porter trois revendications centrales : la reconnaissance par les autorités de la gravité de la situation climatique, la neutralité carbone d’ici à 2025 et la constitution d’une assemblée citoyenne chargée de mettre en œuvre la transition écologique. Depuis la création de l’association, ses militants sont progressivement montés en puissance jusqu’à réussir à bloquer un quartier entier de Londres pendant onze jours en avril. Quelques semaines plus tard, le Parlement britannique accédait à l’une de leurs revendications en devenant le premier à déclarer l’état d’urgence climatique.
Depuis le début de l’année 2019, les militants écologistes de toute l’Europe sont passés à la vitesse supérieure. De nouveaux collectifs rejoignent des associations plus anciennes pour mener des actions de désobéissance civile de plus en plus fréquentes et ambitieuses. Le week-end dernier, 6000 activistes ont convergé vers l’Allemagne pour bloquer la mine de charbon à ciel ouvert de Garzweiler, à l’initiative de l’association Ende Gelände. En avril, une action contre «la République des pollueurs» a réuni 2000 militants, qui ont occupé le siège de Total, EdF et de la Société générale à la Défense.
Grève scolaire
Les jeunes en particulier s’emparent de ces modes d’action plus transgressifs que les cortèges traditionnels. Les grèves scolaires pour le climat, qui mobilisent plusieurs centaines de milliers de jeunes autour du monde, sont déjà une forme de résistance. En refusant d’aller à l’école, l’une des obligations premières faites aux jeunes, ils renvoient les adultes et les politiciens à leurs propres insuffisances sur les enjeux environnementaux. Après le pic des deux journées internationales de mobilisation du 15 mars et 24 mai, des étudiants continuent à se mobiliser chaque semaine. Ils étaient encore 40 000 le 21 juin à Aix-la-Chapelle, en Allemagne.
En France le mouvement de grève scolaire est parti un peu plus tard qu’en Belgique ou en Allemagne, mais il s’est accompagné dès le départ d’actions de désobéissance civile plus marquées. «On est très rapidement parvenu à un consensus en AG sur la nécessité d’employer des moyens plus radicaux que la simple manif», raconte Antoine Soulas, un des organisateurs des actions de désobéissance civile en France. Pour la première grève scolaire française du 15 février, les manifestants ont réussi à paralyser temporairement le boulevard Saint-Germain devant le ministère de la Transition écologique et solidaire. Un mois plus tard, pour la grève scolaire internationale, ils étaient une centaine à bloquer le siège de la Société générale. «L’engouement des jeunes pour ces méthodes est net, estime Jon Palais, cofondateur d’Action non-violente COP21 (ANV-COP21), qui organise des formations à la désobéissance civile. Depuis cette année, même des mineurs demandent à assister à nos formations».
Par rapport au nombre de jeunes qui se sont joints aux grandes grèves scolaires, le pourcentage de ceux qui se tournent vers l’action non-violente reste faible. Mais comme le souligne Maxime Gaborit, du collectif de sociologues Quantité critique qui étudie le profil des manifestants pour le climat, «le soutien à ces pratiques est très élevé». «Au nom de la cause écologique, le rapport à la loi est repensé. Les manifestants estiment qu’ils ont le droit de bloquer, d’occuper, même si c’est illégal. Le seul point limite, c’est la détérioration, poursuit le chercheur. Il va être intéressant d’observer maintenant si ces mouvements renforcent la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ou s’ils conduisent à une progression de la radicalité».
Diversification des profils
Au-delà du cas des jeunes, de plus en plus de militants écologistes et même de simples citoyens préoccupés par la dégradation environnementale cherchent à se former à ces actions. «Depuis huit mois, on observe un emballement jamais vu. Les demandes de formation aux actions non-violente explosent. Environ un quart des personnes que l’on forme sont des gilets jaunes et tous les autres viennent des milieux écologistes», explique Xavier Renou, fondateur du collectif Les désobéissants, qui propose des formations depuis treize ans. Comme Jon Palais, il constate une évolution dans le profil des militants : «De plus en plus de gens se tournent directement vers la désobéissance civile, sans passer d’abord par un engagement associatif plus classique, ce qui est très nouveau. Jusque-là on ne trouvait à nos stages que des militants chevronnés», poursuit Xavier Renou.
La désobéissance civile n’est pas neuve. Elle a été un instrument très prisé au XXe siècle des luttes pour les droits de l’homme, de l’indépendance de l’Inde au combat anti-ségrégationniste aux Etats-Unis. Dans les années 1970, les premières organisations écologistes et notamment Greenpeace s’en emparent. Mais jusqu’à ces dernières années, elles appliquaient surtout ce principe pour des actions coups de poing, menées par des activistes aguerris, qui s’introduisent par exemple dans des centrales nucléaires pour y déployer des banderoles. Désormais, en partie grâce aux réseaux sociaux, les actions sont plus ouvertes et cherchent même à devenir massives. «Plus il y a de personnes formées à la désobéissance, plus l’organisation des actions est efficace, explique Xavier Renou. Et en devenant massives, elles deviennent inarrêtables».
Face à l’urgence à agir, martelée par tous les rapports qui se penchent sur le dérèglement climatique, et l’insuffisance des réponses politiques, c’est aussi cette efficacité que recherchent les militants, en choisissant des actions plus concrètes, aux effets plus visibles. «La désobéissance civile permet d’actionner plus de leviers. L’abandon de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, qui est à mes yeux la plus grande victoire récente du mouvement écologiste, a été obtenu par la résistance», rappelle Antoine Soulas.
Blocage devant l’Elysée
En s’exposant à des gardes à vue voire à des poursuites judiciaires pour troubles à l’ordre public ou manifestations non déclarées, les activistes font toutefois bien plus que de montrer leur détermination. «La désobéissance civile n’est pas le refus de la loi, mais l’exigence d’une loi juste. Dans cette optique, cela devient un devoir de désobéir face à une situation injuste, explique Jon Palais. Mais cela implique aussi de proposer une alternative».
Les jeunes militants qui se sont emparés de la méthode l’ont bien compris : toutes leurs actions sont porteuses de revendications précises, reliées à leur cible du jour. En s’installant devant l’Elysée vendredi, les jeunes de Youth for climate réclamaient la fin immédiate des subventions aux énergies fossiles, alors que la loi énergie-climat actuellement débattue à l’assemblée ne la prévoit pas avant 2025. «L’avantage des actions de désobéissance, c’est qu’elles permettent de cibler plus précisément les responsables, affirme Martin, l’un des porte-parole de Youth for Climate France. Après cette occupation à l’Elysee, nous allons désormais nous tourner vers des entreprises». L’avertissement est lancé.