Amiens : ces « collectifs » qui veulent refaire le monde

Source 7 janvier 2017 – Courrier Picard – Amiens connaît une floraison de «collectifs» qui se distinguent régulièrement sur le front des luttes sociales. Hier, c’était contre la fraude fiscale. Mais qui sont-ils vraiment?

A miens a peut-être perdu son rang de capitale régionale mais elle demeure une vraie capitale des luttes sociales si l’on en juge au nombre de « collectifs » qui émergent régulièrement, organisant autant d’actions spectaculaires et souvent drôles, tantôt contre des partis politiques, le patronat, des collectivités locales…

Hier, samedi, ils étaient une trentaine de manifestants seulement devant l’agence Trois-Cailloux de la BNP à manifester à l’appel d’un « Collectif citoyen contre l’évasion fiscale ». En revanche, tous les ingrédients habituels de ces collectifs étaient réunis : des manifestants pacifiques, du style baba au bien rangé ; des pancartes au slogan choisi (« La banque d’un mon de qui truande », « Seuls les riches vont au paradis fiscal », etc.) ; et pour la pointe d’humour toujours présente, un pastiche du jeu télévisé « Qui veut planquer des millions ».

Sitôt la manifestation terminée, les plus motivés de ces activistes se sont retrouvés dans un local syndical pour décider de leur prochaine action : ce sera jeudi 12 janvier, à partir de 17h15 au Zénith lors de la cérémonie des vœux, afin d’interpeller Brigitte Fouré, qui veut faire payer l’utilisation des salles municipales pour les réunions des associations, syndicats et partis politiques.

La maire d’Amiens reconnaîtra peut-être quelques-uns d’entre eux : certains font partie de ceux qui ont envahi la salle du conseil municipal le 28 avril dernier. Nombre d’entre eux ont également redécoré les locaux du Medef, du Parti socialiste, du FN… tantôt sous la bannière du Collectif des intermittents et précaires, tantôt sous une autre appellation.

Mais à chaque fois que l’actualité l’exigeait : les négociations sur le statut des intermittents, les lois Macron et El Khomri, etc.

Désobéissance civile et mobilisation collective

Ces agitateurs ne manquant pas de suite dans les idées ; ils se sont également invités à un buffet des conseillers départementaux les interpellant sur le thème : «  Vous contrôlez les allocataires du RSA que vous soupçonnez de fraude ; nous venons contrôler ce que vous faites de vos indemnités et de nos impôts . »

Lors de toutes ces manifestations, figure un personnage, Romain Ladent, 40 ans, dont la discrétion n’a d’égal que la force d’engagement. «  Il y a une grande méfiance des organisations par des gens qui veulent refaire de la politique autrement  », explique-t-il.

Véritable animateur politique quasi à plein temps, Romain Ladent n’est pas un inconnu dans le paysage local. Il était le directeur de la Maison pour tous de Rivery entre 2006 et 2009, lorsque le maire fut accusé de harcèlement. «  À l’époque, les partis de gauche, les élus de gauche, n’ont pas bougé  », reproche-t-il encore.

Ensuite, il fut directeur de la politique de la ville à Noyon : «  J’ai beaucoup travaillé avec les élus, je sais comment ils fonctionnent : ils débarquent, ils se font voir, ils décident à la place des gens. Je me méfie des organisations traditionnelles, tout le monde décide à la place des gens  », résume-t-il.

Son truc à lui, c’est la méthode Alinsky de mobilisation collective : comment combattre les inégalités sociales ? Par où commencer ? «  Il y a de chouettes gens qui veulent faire autrement  », lance celui qui est aujourd’hui « formateur en désobéissance civile » pour des associations et des syndicats.

À ses côtés, Émilie, 37 ans, salariée, s’est engagée, lorsque le FN a failli emporter la région. «  Nous sommes des enfants de soixante-huitards. On ne veut pas de ce monde-là !  », lâche-t-elle. Manu, «  Lieutenant Tortion », de son nom de musicien, résume : «   Ce matin, on n’a pas gagné contre la BNP. Mais on a recréé du collectif, de l’espoir, on a fait reculer la résigna tion. »

Benoît Delespierre